In extremis - Vaad harabanim : Vaad harabanim In extremis - Vaad harabanim

In extremis

Dave était un jeune chef d’entreprise américain. Sa fulgurante réussite fascinait son entourage et faisait la fierté de ses parents. Déjà âgés, ceux-ci avaient un fils aîné, appelé Michaël. Celui-ci était associé à Dave dans la start-up ambitieuse qu’ils avaient créée ensemble.

Un jour, contre toute attente, Dave décida de partir étudier la Thora en Israël. Son épouse, Debra, quelque peu réticente au début, fut bientôt convaincue du bien fondé de cette décision et accepta avec enthousiasme de suivre son époux à Jérusalem où Dave avait déjà loué un appartement… Mais Michaël voyait ce départ d’un autre œil. Qui allait désormais l’épauler ? Comment diriger seul leur entreprise ? De concert, ils décidèrent de procéder de la manière suivante : Dave reviendrait aux États-Unis chaque année pendant une période de deux mois. Michaël fut satisfait de cet arrangement et Dave put s’envoler vers Erets Israël avec la bénédiction de son grand frère. Durant deux ans, Dave revint avant Pessa’h et veilla au bon fonctionnement de son entreprise. Debra et les enfants le rejoignaient à New York où ils fêtaient ensemble Pessa’h chez les parents de Dave. Quant à Michaël, il dirigeait chaque année un seder dans un hôtel où il passait la fête avec sa famille.

Quelques jours avant Pessa’h, alors que Dave, assis à son bureau, finalisait un contrat, le téléphone sonna. C’était Debra.

– Dave, dit elle d’un ton angoissé. Il y a un pépin…

Dave sentit son cœur battre à toute allure.

– Ne me fais pas de frayeur, je t’en prie ! s’exclama t-il. Que se passe t-il ?

– C’est Moïchele. Hier soir, au moment de se mettre au lit, il a senti une grande douleur au ventre et…

– Appendicite ? demanda Dave sans laisser son épouse terminer.

– Exactement, répondit-elle plus détendue, toujours admirative de la rapidité d’analyse caractéristique de son mari. Et c’est une appendicite carabinée ! ajouta t-elle. Nous ne pourrons prendre l’avion demain, Moïchele doit être opéré aujourd’hui en urgence.

– Laisse-moi réfléchir, je vais trouver une solution et je te rappelle, répondit-il, rassurant.

Mais le ton de la voix de Dave cachait mal son embarras. Comment trouver, à quelques jours de Pessa’h, un vol pour Tel Aviv ? Comment expliquer à ses parents qu’il ne pourrait conduire le seder cette année ? Comment préparer pour la fête l’appartement de Jérusalem ?

Sans attendre, il appela son agence de voyage qui confirma ses craintes : aucun avion pour Israël dans l’immédiat. Tous les vols étaient complets.

Dave ne se laissa pas abattre, rangea le contrat dans le tiroir, expliqua la situation à ses parents et à Michaël. Il demanda à son frère de convaincre ses parents de passer Pessa’h à l’hôtel avec lui. Après être rentré chez lui, il fit sa valise en toute hâte et se précipita à l’aéroport. Il était peut-être encore temps d’attraper un vol.

Mais aux guichets des différentes compagnies qui assuraient la liaison New York/Tel Aviv, le sourire des hôtesses s’accompagnait toujours de l’assurance de sincères regrets: il n’y avait aucune place de libre. Quelques jours avant Pessa’h, ce n’était pas une grande surprise !

Dave, après avoir mené d’âpres mais inutiles négociations avec les différents responsables des compagnies d’aviation, commença à réfléchir. Il faut trouver une solution, se dit-il. La situation semble bloquée, il faut donc changer de tactique, pensa t-il en se remémorant les cours de management qu’il avait suivis à l’université. Après quelques secondes, il s’exclama, à voix haute :

– Une solution non conventionnelle !

Des passants le regardèrent intrigués.

Dave s’était souvenu de la célèbre segoula du Vaad Harabanim : adresser un don de tout son cœur afin de bénéficier du mérite de la tsedaka. Il savait que cela pouvait débloquer les situations les plus délicates.

Dave appela le Vaad Harabanim et fit un don substantiel. Puis il s’assit sur une banquette et se perdit en conjectures : comment la délivrance se présenterait-elle ? Il n’en n’avait pas la moindre idée. Perdu dans ses pensées, il n’aperçut pas l’homme qui se dirigeait vers lui avec un grand sourire aux lèvres.

– Hi Dave ! s’exclama l’homme avec un clin d’œil amical.

– Ilan ! s’écria Dave, tout à sa joie de croiser l’un de ses meilleurs amis.

– Que fais-tu ici, veille de Pessa’h ? interrogea Ilan incrédule.

– Et bien figure toi que j’ai absolument besoin de rejoindre ma femme en Israël.

Dave raconta toute son histoire à Ilan. Ce dernier écouta avec attention.

Il connaissait Dave depuis l’enfance : les deux hommes s’appréciaient, bien qu’ils aient eu un parcours diamétralement opposé : Dave était marié, père de quatre enfants, Ilan était encore célibataire. Dave était un homme prévoyant et organisé, Ilan avait le goût de l’aventure. D’ailleurs, il se trouvait à l’aéroport car il avait « improvisé » à la dernière minute un séjour à Paris pour Pessa’h.

– J’ai une idée, s’exclama Ilan, le regard malicieux. Ilan avait des relations chez la compagnie aerienne : il pourrait céder sa place et obtenir de la compagnie une faveur : son ami serait inscrit en premier sur la liste d’attente et pourrait ainsi prendre son billet.

Après avoir donné une claque amicale dans le dos de Dave, il se leva et se dirigea vers un guichet. Il entreprit alors une discussion très animée avec l’employé de la compagnie.

Dave l’observait de loin, intrigué et ému à la fois des efforts déployés par son ami. Celui-ci revint après quelques instants, un large sourire aux lèvres. Il lui fit un nouveau clin d’œil amical puis déclara, d’un air vainqueur :

– Tout est réglé !

– Tout est réglé ? demanda Dave abasourdi.

– Je vais tout t’expliquer : je devais partir à Paris dans quelques heures. Mais il y a dix minutes, un très bon ami à moi m’a invité pour le seder et j’ai commencé à regretter mon voyage. Je m’étais décidé à partir car, cette année, ma sœur, chez qui je passe toujours le seder, n’a pas pu m’inviter.

Dave regarda rapidement sa montre et fut stupéfié de constater qu’il avait effectué le don dix minutes auparavant. Il écoutait Ilan avec une attention redoublée.

– Voilà ce que je te propose : tu peux prendre mon billet, te rendre à Paris et de là attraper une correspondance pour Tel Aviv. La compagnie ne demande qu’un petit supplément. Et j’ai vérifié, il y a des places sur le vol Paris-Tel Aviv !

Dave n’en revenait pas ! Tant de sollicitude et de ‘hessed ! Ilan était prêt à lui laisser sa place et à renoncer à son voyage ! Il était touché au plus profond de son âme. Grâce à la générosité de son ami, il pourrait retrouver son épouse et ses enfants. Dave pensa au don qu’il avait adressé et rappela le Vaad Harabanim afin de renouveler son geste pour l’autre yechoua à laquelle il avait assisté : apparemment, Ilan préférait la proposition de ses amis et rester à New York. L’invitation, in extremis, constituait également une aide divine providentielle !